Une envie de Suisse
Delphine Bovey
Éd. Socialinfo, Lausanne, 2017, 228 pages, CHF 29.-
Éd. Socialinfo, Lausanne, 2017, 228 pages, CHF 29.-
Le Milieu du monde |
Pompaples, canton de Vaud |
Prenez le train jusqu’à La Sarraz ou à Eclépens, la ligne de bus numéro 765 vous conduit en quelques minutes à l’arrêt « Pompaples Poste ». Là, vous empruntez la Route du Milieu du Monde sur environ 500 mètres, en direction de l’autoroute. Vous découvrez le Moulin Bornu où se trouve le Milieu du Monde. Moulin Bornu, 1318 Pompaples. www.pompaples.ch |
Le village de Pompaples est situé au pied du Jura, au nord-est du district de Morges, à mi-distance d’Yverdon-les-Bains et de Lausanne. Il accueille le lieu-dit le « Milieu du Monde ». En effet, les eaux d’un frêle cours d’eau, le Nozon, se séparent au Moulin Bornu pour partir dans des directions diamétralement opposées : vers le sud en direction du Léman et du Rhône, puis de la mer Méditerranée ; et vers le nord, en direction du Lac de Neuchâtel et du Rhin, puis de la mer du Nord. Une coquetterie vaudoise qui ne devait pas échapper à l’humour perçant et aiguisé du poète Jean Villard.
Au XVIIIe siècle, Benjamin Constant suggérait que l’on fait toujours du lieu où l’on vit le centre de l’univers. De tout temps et en tout lieu, l’homme a cherché à se représenter le milieu du monde et surtout, à le localiser non loin de chez lui. Dans l’Antiquité, les Grecs considéraient l’Omphalos, une pierre blanche installée dans le temple d’Apollon à Delphes, comme se trouvant au centre de la terre. Puis c’est Jérusalem qui a acquis le titre de Milieu du Monde grâce à son importance indiscutable aux yeux des Juifs, des Chrétiens et des Arabes. En Iran, la ville d’Ispahan, située à 300 kilomètres au sud de Téhéran, signifie littéralement “centre du monde”. Près d’un milliard et demi de Chinois, soit près de 20% de la population mondiale, vivent aujourd’hui au sein de l’Empire du Milieu !
À la longue liste des peuples ayant prétendu à l’hébergement du centre de la terre, il faut encore ajouter les Vaudois, qui règnent sur Pompaples.
Dans notre imaginaire, il apparaît immobile, rehaussé d’une statue ou d’un quelconque monument fortement symbolique et portant la marque solennelle d’une sobre pierre blanche. Mais il n’en est rien. Au pied du Moulin Bornu, le Milieu du monde s’offre à nous sous la forme d’un charmant petit étang.
Ce délicieux petit étang, que protègent des arbres centenaires et que domine la façade de pierre claire du Moulin Bornu, est alimenté par l’Augine. Scindé en deux par la main de l’homme, le paisible ruisseau relie discrètement la mer Méditerranée à la mer du Nord. Sous nos yeux occupés à la découverte des eaux tumultueuses du Nozon, l’étang devient vortex et dégage une force envahissante.
Un tourbillon se forme au point où viennent se joindre et se séparer, littéralement, les petits ruisseaux qui formeront les grands fleuves. Les eaux glissent d’un côté vers la Venoge qui se jette « amoureusement dans les bras du bleu Léman », murmure Jean Villard dans son célèbre poème La Venoge, avant de s’élancer vers le Rhône pour atteindre la mer Méditerranée. De l’autre côté, elles coulent vers l’Orbe qui rejoint la Thielle, puis l’Aar et le Rhin, pour terminer leur périple dans la mer du Nord. Cette déchirure radicale, à laquelle il est possible d’assister presque comme à un trait de caractère, pour ne pas dire à une saute d’humeur, rejoint admirablement ce que suggère Jean Villard dans son poème et justifie, d’un point de vue strictement vaudois, le fait que le poète a porté son choix sur la Venoge, petite rivière capricieuse et « drôlement attachante ».
Modeste ruisseau issu de terres paysannes, la Venoge s’aventure loin de son sol natal pour se risquer à la découverte d’horizons plus vastes. Sans avoir à renier les origines dont elle emprunte fièrement les méandres, la rivière se fraie un lit à travers le canton de Vaud pour aller finalement se jeter délicatement dans les eaux du bleu Léman.
En termes poétiques, la métaphore demeure très forte : Gilles lui-même, à l’instar de la petite rivière inconnue charmant son auditoire par ses contours et ses accents du terroir, monte à Paris pour y poursuivre sa carrière et côtoyer les grands noms de la scène. Paisiblement, devant nous, la surface de l’étang se transforme en cette arène, étroite et impitoyable, où se joue un combat que l’on pourrait qualifier au moins de lutte d’indépendance, voire de lutte de territoires.