Une envie de Suisse
Delphine Bovey
Éd. Socialinfo, Lausanne, 2017, 228 pages, CHF 29.-
Éd. Socialinfo, Lausanne, 2017, 228 pages, CHF 29.-
Réécrire le monde Le Centre Dürrenmatt |
Neuchâtel, canton de Neuchâtel |
À la gare CFF de Neuchâtel, les lignes de bus 106 et 109 montent jusqu’à l’arrêt « Ermitage ». Le Centre Dürrenmatt se trouve à 10 minutes de marche de l’arrêt de bus. Il se visite du mercredi au dimanche, de 11h à 17h. 74 chemin du Pertuis-du-Sault, 2000 Neuchâtel. www.cdn.ch |
Sur l’axe ferroviaire qui relie Lausanne à Olten, il est impossible de la manquer. Sagement installée sur la rive gauche de son lac éponyme, Neuchâtel est plus bouillonnante qu’il n’y paraît. Sa situation privilégiée, qui part du lac puis s’étend en hauteur sur les flancs du Jura, offre d’innombrables occasions de disperser le regard. D’en haut, le lac se dévoile sous un jour nouveau, au sein du décor plus vaste dans lequel il s’inscrit. C’est là que se trouve le Vallon de l’Ermitage, choisi comme dernier lieu de résidence par Friedrich Dürrenmatt et qui abrite, depuis l’année 2000, le Centre Dürrenmatt.
La gare de Neuchâtel scinde la ville à mi-hauteur et fourmille d’usagers qu’elle crache par un petit tunnel sous-terrain. Côté lac, un funiculaire et un raide sentier ouvrent l’accès à la vieille ville et à la zone piétonne. Du côté de la colline, les larges avenues bordées de façades ocre ont cédé la place à de petites routes arpentant les hauteurs résidentielles. Après une courte ascension, une minuscule chapelle de briques rouges, qui pourrait toujours avoir été là, semble marquer un passage symbolique, un point de transition du familier vers l’inconnu. Emprunter le chemin du Pertuis-du-Sault qui commence à cet emplacement revient à abandonner définitivement ses repères et à se laisser aller à la découverte béate.
De l’autre côté, la ville, la circulation et la gare ont définitivement disparu. Une nature généreuse et accueillante a tout envahi et implore le visiteur de se mettre au diapason des éléments qui l’entourent. La visite se poursuit au gré du chemin. Traversant d’abord une jolie clairière, entourée de hauts arbres protecteurs, le sentier s’en va en direction du jardin botanique : un arrangement sophistiqué de plantes, disposées en terrasses dans un jardin rutilant qui domine fièrement le lac et la ville. Passé le parc somptueux et ses serres paisibles, la nature devient plus luxuriante et les arbres commencent à se resserrer au-dessus du chemin. Soudain, comme à la sortie d’un tunnel, les branches s’entrouvrent pour laisser apparaître une vaste percée sur le lac. Le Vallon de l’Ermitage surgit, planant au-dessus du lac, et dévoile un panorama d’une délicate de beauté. Perchée tel un nid d’aigle, une maison doublée de son extension futuriste domine le vallon à la manière d’un repère d’agent secret.
En 1952, Friedrich Dürrenmatt lit une annonce concernant une maison à vendre « avec bibliothèques incorporées ». Lorsqu’il découvre le Vallon de l’Ermitage et le point de vue surréel qui l’accompagne, il estime avoir trouvé le lieu de vie et de travail idéal. Dürrenmatt achète le terrain et la maison inachevée et s’y installe avec sa famille. Il effectue de nombreux travaux d’aménagements, car il s’agit pour l’écrivain de préserver à tout prix l’aspect idyllique du vallon. Il cherche également à profiter pleinement du « potentiel contemplatif » de son petit domaine. Une seconde maison est construite, réservée à l’écriture et au travail d’illustration. En créateur organisé, Dürrenmatt se dote d’un bureau, espace de travail privilégié, hors de portée de toute distraction. Mû par la hauteur et par l’immensité qui s’ouvre devant lui, l’écrivain se retire et peut alors entreprendre de réinventer le monde. Friedrich Dürrenmatt passe près de quarante années au Vallon de l’Ermitage où il terminera sa vie, en 1990.
Dix ans plus tard, le centre Dürrenmatt est inauguré. À la fois musée et centre de congrès, il propose notamment des expositions en relation avec la vie et l’œuvre de Dürrenmatt. Réalisé par l’architecte tessinois Mario Botta, le centre est une extension de la maison originale. Construit en ardoise noire, il semble être sorti de la terre pour s’unir de manière organique à la maison qui éclate désormais de blancheur. Divisé en deux niveaux, il s’appuie sur une partie semi-souterraine dont le toit fait office de terrasse panoramique. Comme le pressentait Dürrenmatt, cette vue incontournable est bien le véritable joyau du Vallon.